Lundi, temps gris, heures calmes. En l’absence de Guy et d’Alex, tandis que Martine travaille au montage des interviews de ces derniers jours et que Camille philosophe avec des joueuses de scrabble, je prends le temps d’une promenade solitaire dans les rues du quartier. Je traverse le parc du Moulin, quasiment désert à cette heure, puis remonte le boulevard des fédérés, sans fédérés, traverse la place de la Haye, rattrape l’avenue de Suwalki par la rue d’Athènes, il y a un peu partout des passages entre immeubles qui ouvrent sur des façades, des garages ou des impasses très très calmes. Place de l’Horloge, j’aperçois quelques piétons, des lycéen.nes pour la plupart qui sur le trottoir opposé sortent sans éclat du lycée du Nordhoover, nous marchons parallélement dans le vent gris et doux entre le square de Merckeghem et le square du Luxembourg. Sur l’immense parking de la maison de l’initiative, je prends le temps d’un lent panoramique à 360°. Au dessus de l’eau du watergang et du square de Copenhague, une nuée de goélands piaille dans le ciel blanc. A quelques mètres, un passage mène à la place François Mitterand, là les commerces du centre ville drainent quelques chalands mais aussitôt quitté l’avenue de l’ancien village, je retrouve le calme lent des trottoirs dépeuplés; les batiments se succèdent, s’entrecroisent, se tournent le dos ou se répondent, dessinant dans le ciel pluvieux quelques perspectives surprenantes ; il y a une beauté certaine dans ce patchwork résidentiel mais ce qui touche le plus ou plutôt qui intrigue et déconcerte, c’est la rareté des visages dans un paysage pourtant surpeuplé. On aimerait pouvoir questionner les arbres nus, les fenêtres closes, les automobiles immobiles le long des trottoirs et qu’ils nous racontent ce qu’ils savent des tendresses, des frayeurs et des espérances des milliers d’êtres qui vivent là et dont le coeur, les nerfs, les heures, les pensées vibrent évidemment continuellement, dans la trame du temps, sans qu’on puisse seulement les apercevoir, vivants inacessibles, invisibles à cette heure, que l’on imagine un temps, que l’on guette, un peu, et puis qu’on laisse là.




Vivre c’est vibrer. Et cette vibration, ce souffle qui nous anime toutes et tous, se traduit aussi par le chant et la danse. A propos de danse, nous avons rencontré l’incroyable collectif blacklist qui pratique et promeut dans le quartier, dans les villages, et dans tout le pays, la breakdanse, le parkour, le street-foot et toutes les disciplines de la culture hip hop mais ce collectif a aussi inventé les breaking tournament, tournois de danse dans lesquels les gagnants s’associent aux perdants pour avancer ensemble, tournois qui se déroulent désormais dans le monde entier. Depuis l’ancienne salle de sport où Blacklist oeuvre, c’est un peu de l’énergie et des talents du quartier qui s’élance à travers tout le pays, traverse les mers et relie les pays.
